La sublimation spirituelle du réel par Jean-Philippe Haure.
L’ART
L’œil est d’abord attiré par des taches légères colorées, rougeâtres ou bleuâtres puis par un jeu de couches diffuses recouvrant la surface du papier. Des taches apparaissent ici, ailleurs une texture semblable à du gravier, là des formes vagues qui se détachent et se fondent ensuite. Il s’en dégage une impression de calme et de paix. C’est de « l’abstraction » dans ce qu’elle a de meilleur : un langage de pure d’émotion visuelle exprimé par le mode surréel de la couleur. Pourtant, lorsque l’œil s’attarde plus longuement sur le papier, une autre lecture se révèle, celle-ci figurative : derrière le lavis de pastel apparaissent des contours finement dessinés d’un danseur Balinais ou d’une scène de village ordinaire. Nos émotions, éveillées par le côté abstrait du travail, sont maintenant guidées vers le plaisir visuel qu’est une image réaliste de Bali, qui, en même temps, montre un monde irréel au delà de ce que peut être simplement « Bali ».
Voici un artiste qui est évidemment intéressé, non pas par des considérations formelles, sa combinaison d’abstraction et de figuration n’est qu’un outil, mais par un désir, il faudrait presque dire une urgence, d’exprimer ce qui est pour lui l’essence et la pureté. C’est ce qu’il trouve spécialement à Bali, chez la femme balinaise. Non pas parce ce sont des icônes, mais parce que Bali et la femme balinaise restent les meilleures manifestations de cet idéal, dans le geste naturel et la simplicité féminine. S’il était né au 15ème siècle en Italie, il aurait probablement peint des Madones et des paysages Toscans, les idéaux picturaux d’alors.
Jean-Philippe Haure commence toujours son travail en peignant avec une couleur beige ou brune, de façon abstraite et légère, afin de créer une atmosphère qui relativise le réalisme pour nous amener quelque part au-delà. Cette « brume » peut être interprétée comme représentation de « l’inconnaissable » qui reste l’essence de chacun d’entre nous dans notre irréductible individualité. Elle peut aussi suggérer à l’esprit le rêve d’un danseur ou la souffrance d’une personne âgée. À un niveau plus profond, il évoque « l’au-delà » qui relie les individualités, parmi les rêves et la souffrance, et finalement chacun d’entre nous, dans le même Inconnu qui nous appelle à la méditation et la prière.
Comment réalise-t-il ce type idéaliste de représentation ? Par une combinaison originale, lors de son processus créatif, de l’abstraction et de la figuration, qu’il détourne à cette fin dans un dialogue de ligne et de couleur, chacune ayant une fonction propre et bien définie. La couleur évoque l’émotion et produit « la sensation » désirée. Il n’y a ni forme ni objet ou personnage, il ne suit pas non plus une structure graphique sous-jacente. Cette émotion colorée est réalisée avec très peu de moyen, seulement deux ou trois couleurs de base au plus (le brun et l’or, et parfois le bleu) appliquées sur la surface de façon diffuse, à la manière des tachistes, définissant l’espace et la composition de façon semi-automatique, semi-intuitive, sans jamais pré-organiser le tableau. Ainsi, dans le travail de Jean-Philippe, c’est la couleur qui structure la peinture, d’une façon abstraite, à la manière de l’Expressionnisme Abstrait américain et du Tachisme français.
Son premier jet de couleur cherche à créer un certain rythme visuel. Bien sûr, il ne réussit pas toujours. Dans ce cas, il renonce alors à la composition en cours et en choisit une autre. « Si je n’aime pas mon lavis, dit Jean-Philippe, je ne le continue pas. Je n’y dessine rien. Je laisse le travail inachevé. » Quand il a trouvé le rythme de base, il le retravaille à plusieurs reprises, suivant ce que lui suggèrent les images. Ces images sont toutes ses propres photographies qu’il a faites en assistant aux rituels et à la vie balinaise. Elles apportent les contours et finalement le contenu idéal au travail. Mais comment une photographie peut-elle jouer ce rôle ? En prêtant seulement certaines de ses lignes, parmi les plus évocatrices, tout en abandonnant le contenu trop narratif ou détaillé. Ce qui restera de la photographie sera finalement le minimum nécessaire à la suggestion de la scène, simplement une compréhension particulière et sensible, tendre et amoureuse. Tout est suggéré plutôt qu’affirmé. Comme une sensation gracieuse qui traverse les couleurs dans les lignes sublimées du réel.
Du point de vue du contenu, comme on le verra plus loin à un niveau plus profond, les peintures de Jean-Philippe’s n’ont rien d’exotique. L’exotisme est essentiellement un malentendu. Il souligne les différences extérieures d’une culture, comme si ces différences représentaient l’essentiel, tandis qu’elles ne sont simplement que des détails. A Bali, l’exotisme tourne autour des cérémonies, des offrandes et des rites ; C’est ce qui a contribué à faire de l’île une image paradisiaque.
Mais ce n’est pas ce que Jean-Philippe recherche. Les personnages qu’il représente dans ses œuvres ne nous étonnent pas par leur altérité, mais plutôt, par l’intimité qui nous rapproche. Ce qu’il voit en eux, ce sont des gestes physiques ordinaires et une intimité. Des gens innocents comme nous tous devrions être. Cette perception de Bali comme une terre d’innocence est très personnelle : Jean-Philippe ne nous l’impose pas, mais la révèle plutôt, petit à petit, comme le font ces lavis colorés. La qualité principale de l’artiste apparaît ici, au-delà de son style et de sa technique : sa sensibilité comme un homme de foi, ouvert à d’autres hommes et l’Humanité tout entière.
Jean Couteau, traduit de l’anglais par J-Philippe.