La Gazette, Janvier 2006
Moderniser la vieille école
Par Eric Buvelot pour La Gazette.
Jean-Philippe est le responsable des cours de l’Ecole d’Arts appliqués Sasana Hasta Karya de Gianyar. Apres quinze ans de travail assidu, cet Orléanais de 36 ans est en passe de réussir le pari de développement et d’indépendance financière de cet établissement fondé par une mission catholique.
L’excellence de l’enseignement dispensé dans cette école d’arts reconnue par l’éducation nationale indonésienne n’est plus à démontrer. Fondée en 1982 par le père Maurice Le Coutour, Sasana Hasta Karya a d’abord été une école de sculpture, reflétant ainsi l’enthousiasme pour l’artisanat balinais de ce prêtre qui fut longtemps missionnaire au Cambodge. Arrivé en 1978, cette figure haute en couleurs d’un Bali révolu circulait en 2cv fourgonnette. Il élevait des porcs à l’arrière de son église et produisait des rillettes et des saucissons pour financer son école. Sa mission a été fondée en 1980, avec au centre de ses activités une école maternelle qui existe toujours. L’école d’arts a par contre beaucoup évolué pour devenir une sorte de « micro-école Boulle », selon les termes de Jean-Philippe.
Arrivé en 1991, ce dernier a passé cinq ans avec le père Maurice, avant que celui-ci ne retourne au Cambodge, à la réouverture du pays en 1996. Cinq ans pendant lesquels l’héritage de ce « meneur d’hommes » aujourd’hui décédé lui a été transmis, explique-t-il. Diplômé de l’école Boulle, Jean-Philippe a appris l’indonésien à l’INALCO pendant l’année qui a précédé son départ. Il est arrivé à Gianyar comme coopérant et n’en est jamais reparti depuis. Spécialiste du meuble, il a d’abord monté les cours d’ébénisterie, avec seulement quatre élèves, dont deux sont devenus professeurs à Sasana Hasta Karya. Jean-Philippe a également enseigné le dessin d’art, la peinture et les machines-outils et a rédigé les manuels utilisés dans l’école. Ces livres sont certifiés par le ministère et pourraient être imprimés très prochainement.
Divisés en quatre branches, sculpture, peinture, ébénisterie et machines-outils, les cours sont dispensés par cycles d’un an cumulables. Les élèves qui suivent plusieurs cycles sont tenus de réaliser un chef d’œuvre en fin d’apprentissage comme le font les Compagnons du Devoir. Ces jeunes viennent de tous les horizons et de toutes les provinces. En 2005, ils n’étaient que quinze, de 16 à 27 ans, et les effectifs pourraient être facilement doublés « sans nuire à la qualité des cours », explique Jean-Philippe. Ils dorment sur place car l’établissement fonctionne comme un pensionnat. Un climat unique émane de ce lieu qui mêle art balinais et ambiance de lycée technique français. Des arpents sont employés à la culture et à l’élevage, offrant ainsi aux pensionnaires la possibilité d’améliorer l’ordinaire, comme le précise la brochure de l’école.
Depuis peu, l’école est payante mais profite encore ponctuellement de l’aide du diocèse de Denpasar dont elle dépend. Sasana Hasta Karya prend aussi des commandes quand le profil et la quantité des pièces à fabriquer est « compatible avec la mission première de pédagogie », explique Jean-Philippe. Etant donné la qualité du travail réalisé dans cet établissement, le responsable des cours rappelle qu’il ne faut pas en espérer « des produits à bas prix » et précise que la clientèle actuelle de l’école de Gianyar se recrute plutôt parmi « des connaisseurs en Europe ». Afin de promouvoir l’image d’excellence du travail produit, Sasana Hasta Karya s’est adjoint les services d’un coopérant spécialiste des sites Internet et de la vente en ligne afin de trouver des débouchés dans le monde entier. La publicité pour l’école n’est pas oubliée avec l’envoi régulier de prospectus vantant ses qualités afin d’augmenter les effectifs
L’objectif d’« élever le niveau de l’école » que le père Maurice et lui-même s’étaient fixés semble avoir été atteint. Reste à rendre l’école autonome financièrement. L’idée de base du fondateur, qui consistait à mettre en vente le travail des élèves est toujours appliquée, et une salle d’exposition permanente rénovée est ouverte sur place. Mais cela n’a pas été suffisant pour assurer l’accroissement budgétaire de l’école. Ce sont les fonds d’une organisation catholique allemande qui a permis l’acquisition de l’outillage moderne dont elle bénéficie aujourd’hui.
Sasana Hasta Karya forme « des maîtres plutôt que des ouvriers », avance encore Jean-Philippe qui n’officie plus désormais qu’en consultant. Les nouveaux promus vont dispenser leur savoir-faire en retournant chez eux après leur formation et l’obtention de leur diplôme de fin de cycle. Et ainsi, ils seront en mesure de créer un pôle économique nouveau dans leur village d’origine. Pas moins de 350 sculpteurs sont sortis de cette école depuis sa création. Toutes les confessions sont bien sûr acceptées et pour être reconnue par l’Education nationale, l’école dispense des cours de Pancasila, de religions, de bahasa indonesia et d’anglais, comme n’importe quel autre établissement du pays.
L’ancien novice dans un monastère bénédictin a aujourd’hui une épouse javanaise et est père de deux enfants. Peintre et photographe, il va exposer ses œuvres qui dépeignent la vie balinaise en mai prochain à Jakarta et affirme être « moins présent dans l’établissement » afin que l’actuelle direction puisse s’émanciper de sa tutelle. Pour ce Français qui aura bientôt passé la moitié de sa vie à Bali, qui a joué dans un orchestre de gamelan pendant des années et qui a construit sa demeure familiale à Gianyar, l’avenir semble être assuré sur place. L’héritage légué par le père Maurice s’est sans doute enrichi de sa rigueur méthodique et la bonne santé de l’école lui laisse maintenant le temps de se consacrer un peu plus à sa carrière d’artiste. Aussi quand on lui demande ce qu’il compte faire après Sasana Hasta Karya, les explications sont vagues. Peut-être parce que, comme tout homme de foi, il pense que la réponse ne lui appartient pas complètement.
Voir l’article dans son contexte.