Jean-Philippe Haure, After The Bath, 2006, water media on paper, laid down (...)

Jean-Philippe Haure ou l’éternelle quête de beauté

By Richard Horstman

9 September 2020

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Jean-Philippe Haure, I’ve got Dreams to Remember, 2012, water media on paper, laid down on canvas, 107 x 78,5.

Une œuvre d’art intem­po­relle témoi­gne d’une excel­lence indé­nia­ble, ainsi que d’une force mys­té­rieuse. Elle incarne une fraî­cheur unique et dura­ble, et reste aussi vivante que le jour où elle a été créée. De telles œuvres sont le fruit du génie, à parts égales de l’extra­or­di­naire - une maî­trise impré­gnée d’idées ori­gi­na­les. Elles sont le résul­tat d’un mer­veilleux pro­ces­sus de co-créa­tion dans lequel l’artiste et l’esprit uni­ver­sel fusion­nent en une seule puis­sance har­mo­nieuse créa­trice.

Riche d’une sub­stance qui nous permet de nous libé­rer du monde phy­si­que et de le trans­cen­der, l’art intem­po­rel se connecte à l’âme et la touche. Parfois, ses œuvres et leurs créa­teurs res­tent à la péri­phé­rie du monde de l’art, incom­pris et sous-évalués ; ils res­tent en quel­que sorte méconnus.

Jean-Philippe Haure, Melancholia, 2013, water media on paper, laid down on canvas, 73 x 54.

Jean-Philippe Haure est l’un de ces artis­tes. Être sen­si­ble et doux, ses proues­ses s’expri­ment dans de magni­fi­ques pein­tu­res qui com­bi­nent des fonds abs­traits vibrants avec des des­sins figu­ra­tifs méti­cu­leux. Au pre­mier coup d’œil, ses com­po­si­tions peu­vent paraî­tre dérou­tan­tes et dif­fi­ci­les à déchif­frer ; la matrice visuelle dans laquelle nous nous enga­geons est en effet peu fami­lière, étant pres­que contra­dic­toire. Pourtant, dans le monde artis­ti­que, Haure dépeint la condi­tion humaine d’une manière qui lui est tout à fait sin­gu­lière. Sa "voix" créa­trice le défi­nit comme l’un des artis­tes expa­triés les plus talen­tueux qui vivent et tra­vaillent à Bali.
 
Haure posi­tionne habi­le­ment deux mondes visuels côte à côte, en oppo­sant des éléments qui repré­sen­tent des oppo­si­tions dis­tinc­tes - l’un de réa­lisme, l’autre de fic­tion. Ses fonds colo­rés et dyna­mi­ques offrent d’innom­bra­bles pos­si­bi­li­tés dans notre quête de donner un sens à leurs formes non des­crip­ti­ves. Mais en pla­çant ces deux éléments fon­da­men­taux oppo­sés ensem­ble, l’artiste sou­li­gne son inten­tion : faire une dis­tinc­tion claire entre ce qui est de la fan­tai­sie et ce qui est une réa­lité.

Bali, Indonésie 

Willem Gerard Hofker , Ni Gusti Kompiang Mawar, 1945, oil on paper, laid down on canvas, 27,5 x 27,5.

L’orien­ta­lisme est un terme qui est peu asso­cié aux repré­sen­ta­tions artis­ti­ques occi­den­ta­les de Bali faites au cours du siècle der­nier. Il est plutôt lié au conti­nent asia­ti­que. Les inter­pré­ta­tions exté­rieu­res pré­conçues de Bali, de sa culture et de ses habi­tants, sont façon­nées par les atti­tu­des de l’impé­ria­lisme euro­péen et sont le fon­de­ment des inter­pré­ta­tions artis­ti­ques exo­ti­ques de Bali. Ces idées visuel­les sont basées sur des notions dis­cri­mi­na­toi­res pré­conçues qui sont limi­tées et créent inten­tion­nel­le­ment une bar­rière émotionnelle entre le sujet, qui devient un objet, et le public.
 
Le projet de Haure en est l’opposé. Il va au-delà des dif­fé­ren­ces pré­conçues pour révé­ler les qua­li­tés humai­nes de ses modè­les afin que nous puis­sions déve­lop­per une com­pli­cité affec­tive. Nous pou­vons alors penser à leur condi­tion tout en y confron­tant nos simi­li­tu­des. Haure rejette les images sté­réo­ty­pées du siècle der­nier qui pré­do­mi­nent dans notre manière de penser les Balinais. Contrairement à la majo­rité des pein­tres occi­den­taux qui l’ont pré­cédé, ceux qui ont objec­tivé la beauté fémi­nine comme une repré­sen­ta­tion du désir sexuel et de leur fan­tasme, Haure sou­li­gne que les Balinais sont humains, et qu’ils sont en fait un miroir de nous-mêmes.

Jean-Philippe Haure, Duality XVIII, 2008, water media on paper, laid down on canvas, 107 x 78,5.

"Je repré­sente les jeunes filles bali­nai­ses vêtues de beaux vête­ments tra­di­tion­nels, avant ou après, mais jamais pen­dant la repré­sen­ta­tion d’une danse tra­di­tion­nelle ou d’une acti­vité cultu­relle. Je ne cher­che pas le rôle cultu­rel exo­ti­que ou la per­sonne qui y est incar­née. Je sou­haite les cap­tu­rer dans des moments contem­pla­tifs et per­son­nels", déclare l’artiste. "Je m’efforce de faire des dis­tinc­tions clai­res entre ce qui est du rôle et ce qui est de l’être humain. La beauté fémi­nine bali­naise est exo­ti­que, mais je crois que cette obser­va­tion est erro­née - c’est une réi­fi­ca­tion en amont, sans reconnaî­tre le carac­tère par­ti­cu­lier de l’indi­vidu".

La venue de Jean-Philippe Haure à Bali et son inté­gra­tion dans la culture ne res­sem­ble à aucun autre séjour d’artiste étranger qui l’a pré­cédé. Né en 1969 à Orléans, une ville du centre de la France, il est entré en 1983 à l’Ėcole Boulle, à Paris, une ins­ti­tu­tion répu­tée pour mettre en valeur la créa­ti­vité et le savoir-faire, et former les meilleurs arti­sans du pays. Après avoir obtenu un ’’diplôme des métiers d’art" en 1989, il a tra­vaillé dans la res­tau­ra­tion de pièces du Mobilier National fran­çais.
 
Attaché à la spi­ri­tua­lité reli­gieuse catho­li­que des Bénédictins, il rejoint le monas­tère de Saint Benoît sur Loire en 1989. Peu après, Haure a été affecté en Indonésie à l’école d’art Sasana Hasta Karya de Gianyar, à Bali, où il a ensei­gné l’ébénisterie, le dessin, la pein­ture et l’uti­li­sa­tion de machi­nes à bois. En 1992, Haure se pas­sionne pour la pho­to­gra­phie en noir et blanc, ce qui lui permet en même temps de réé­qui­li­brer et d’amé­lio­rer ses acti­vi­tés artis­ti­ques. Quatre ans plus tard, il prend le rôle de direc­teur de Sasana Hasta Karya tout en vivant au palais royal d’Abianbase, deve­nant membre du groupe musi­cal ’bala Ganjur’ du palais.

Jean-Philippe Haure, Gemini II, 2004, water media on paper, laid down on canvas, 107 x 78,5.

Désirant per­fec­tion­ner de ses talents de des­si­na­teur, Haure a com­mencé à suivre des ses­sions régu­liè­res de dessin de modè­les vivants à la gale­rie Pranoto d’Ubud en 1997. La même année, il expose ses pein­tu­res lors de sa pre­mière expo­si­tion à Jakarta au CSIS (Center of Strategic and International Studies). À partir de ce moment, il a par­ti­cipé à des expo­si­tions col­lec­ti­ves et indi­vi­duel­les à Bali, Jakarta et Singapour. Il a été repré­senté par la Bamboo Gallery à Ubud, Bali, à partir de 2001. L’un des moments forts de sa car­rière a été l’obten­tion du pre­mier prix en 2016 pour sa pein­ture Melancolia au salon inter­na­tio­nal de Taverny, en France.

Jean-Philippe Haure, Sketch, 2012, char­coal, goua­che on paper, 40 x 27.

Le pro­ces­sus créa­tif

Jean-Philippe Haure, After The Bath, 2006, water media on paper, laid down on canvas, 100 x 65.

Lorsque, pour la pre­mière fois, on observe les pein­tu­res de Jean-Philippe Haure, une ques­tion nous vient immé­dia­te­ment à l’esprit : qu’est-ce que l’artiste tente d’expri­mer ? Un examen atten­tif révèle les contours flui­des de mul­ti­ples lavis pig­men­tai­res har­mo­nieux et contras­tés sur le papier, et sur ce milieu, l’artiste esquisse ses per­son­na­ges bali­nais. Les fonds à l’aqua­relle, à l’acry­li­que et aux crayons de cou­leur ren­contrent la puis­sance linéaire pure du dessin au gra­phite qui se trouve au-dessus. Il com­mence le tra­vail en appli­quant le fond, qui lui dicte ensuite com­ment ses per­son­na­ges peu­vent appa­raî­tre.

Le pari de Haure est de rendre ses com­po­si­tions com­plexes visuel­le­ment cohé­ren­tes autant dans sa concep­tion abs­traite que réa­liste. Une atten­tion par­ti­cu­lière est portée à l’équilibre des zones blan­ches du papier avec des formes colo­rées aléa­toi­res, des lignes fines de crayon avec des contours plus forts et plus épais qui sont par­fois néces­sai­res. Suivre un contour montre toute la richesse de sa tech­ni­que : contraste, tex­ture, cou­leurs satu­rées ou com­plé­men­tai­res, lignes clai­res ou fon­cées, hachu­res et zones rem­plies - le pro­ces­sus créa­tif de Haure est pure­ment ins­tinc­tif. Chaque partie du tableau néces­site une atten­tion spé­ci­fi­que afin de para­che­ver les détails.

"Je dois être capa­ble de m’adap­ter à chaque partie du pro­ces­sus de créa­tion et à la cons­truc­tion de l’image, en chan­geant les cou­leurs du plus clair au foncé ou à plus de contraste, en pas­sant aussi par des lignes plus épaisses ou plus fines. Le pro­ces­sus créa­tif exige que j’aille au fond des choses et que je fasse des recher­ches", déclare Haure. "La beauté doit être recher­chée ou explo­rée et non fabri­quée !"

Jean-Philippe Haure, Waiting for the King (detail), 2018, water media on paper, laid down on canvas, 107 x 78,5.
Jean-Philippe Haure, Duality VI, 2008, water media on paper, laid down on canvas, 73 x 54.

Inspiré par la beauté clas­si­que et les maî­tres euro­péens, Haure est prin­ci­pa­le­ment influencé par le des­si­na­teur et gra­phiste néer­lan­dais Willem Gerard Hofker (1902-1981) qui a par­couru les Indes orien­ta­les néer­lan­dai­ses et s’est ins­tallé à Bali dans les années 1930. Les pein­tu­res sin­gu­liè­res de Haure reflè­tent sa com­pré­hen­sion de Bali et de ses milieux phy­si­ques et non phy­si­ques inten­ses. La beauté et l’huma­nité de ses per­son­na­ges, ainsi que les éléments mys­té­rieux qui émanent de ses fonds sont immé­dia­te­ment intri­gants, et nous avons rare­ment l’occa­sion d’obser­ver des œuvres d’une qua­lité aussi inha­bi­tuelle et accro­cheuse. Jean-Philippe Haure suit son cœur dans la recher­che de l’élégance et de la per­fec­tion visuelle, en réa­li­sant des images qui par­lent d’elles-mêmes. Il nous rap­pelle que la pein­ture est sans doute la plus haute et la plus ver­tueuse des réa­li­sa­tions de l’huma­nité.

Par: Richard Horstman
Traduit de l’anglais par J-Philippe.

Cet arti­cle est publié dans la revue NowBali de sep­tem­bre 2020:

  J-Philippe, Bali Press review Jean-Philippe Haure

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